Il faisait nuit noire ce soir-là. Les lampadaires et toutes les lumières de la ville, se reflétaient dans l'eau présente sur le sol. Il pleuvait. Il pleuvait à verse, tellement fort qu'on ne voyait presque rien. Elle venait d'avoir ses premières contractions, il fallait se dépêcher de l'emmener à l'hôpital, pour qu'elle puisse mettre au monde cette petite fille, qu'ils attendent depuis désormais neuf long mois. Mais cette pluie. On ne contrôle rien, ni le temps, ni les gens et cet homme qui perd le contrôle de sa voiture en voulant éviter un piéton, cet homme c'est mon père. Le choc est violent, la police se dépêchent d'arriver sur les lieux de l'accident, ma mère et mon père sont emmenés d'urgence à l'hôpital le plus proche. Le bébé est en danger et la mère aussi. Le père est sous le choc. La pluie battante sur le sol, l'empêchait de voir correctement, il n'avait pas remarqué cet homme qui traverser, ni même la voiture qui était en train de le dépasser à ce moment-là, en voulant déboîté pour esquiver le piéton, il n'avait pas pu esquiver la voiture, le choc fut brutal, violent, sanguinolent. Les deux chauffeurs s'en sortent indemne, mais ce n'est pas le cas de ma mère, qui succombera à ses blessures à l'hôpital, après m'avoir mise au monde.

Un événement comme celui-ci marque la vie d'un homme et même si je ne pouvais me souvenir de ce soir-là, même si je n'ai aucune idée de ce qu'il avait pu ressentir ou ressentait encore. Je pouvais distinguer la nostalgie dans son regard en me voyant grandir, de ce qu'il m'en racontait, je lui ressemblais énormément. Je détestais être conformiste, j'avais l'esprit libre, je ne supportais pas être prisonnière de mon quotidien et il remarqua tout cela très vite. Je suis comme elle en tout point et cela lui fait du mal autant que ça apaise son cœur blessé. Mon père est rongé par le remord, dans l'empressement de ma venue au monde, il était plus attentif au bien être de sa femme, qu'à ce qu'il se passait sur la route, si bien que quand elle s'est mise à crier sous les coups d'une contraction, il avait quitté des yeux la route, le temps de deux secondes, qui suffirent pour tout réduire à néant, il s'en veut, il vit avec et fait de son mieux pour élever sa fille unique.

Mon enfance connaît donc l'absence d'une mère, mais mon père s'occupe bien de moi. Il travaille dure pour que je ne manque de rien. A l'école, je suis plutôt une bonne élève, même si je me laisse facilement entraîner par mes camarades de classe pour faire des bêtises. Rien de bien méchant, une enfant pleine de vie et intelligente. Je ne manquais de rien...

Puis de l'enfance on passe à l'adolescence, les premiers regards échangés, les premières rencontres amoureuses et diverses rencontres. Je n'échappe pas à la règle de la crise d'adolescence. Mon père est un papa poule qui s'inquiète tout le temps et moi j'ai l'esprit vagabond, j'ai besoin de me sentir libre pour être totalement en phase avec moi-même. Si bien que naît les premiers conflits, mais c'est aussi grâce à eux que j'ai fait la rencontre de Sam, Samaël Newton, qui est devenu au file des années mon meilleur ami. Sam est mon garde fou, il m'évite de partir trop loin dans mes délires, d'ailleurs c'est grâce à lui que je me découvre une passion pour la photographie. Pour l'anniversaire de mes 15 ans, Sam et mon père m'ont offert mon premier appareil photo. J'étais sous le charme, du cadeau et surtout de ce qu'il m'offrait, une perspective d'avenir.  Sam est la seule personne qui me connaisse par cœur, celle qui connaît tous mes malheurs, toutes mes peines, tout de moi. Au début on ne s'échanger que quelques mots, puis de file en aiguille, nous sommes devenus très proche. Néanmoins, il n'y avait pas que Sam, j'avais un petit groupe d'amis à côté avec qui j'adorais sortir et faire la fête. Sam était toujours présent, en train de me surveiller. Il faut dire que je n'avais pas de bonne fréquentation, comme me le répéter souvent mon père, du coup Sam était devenu comme un garde du corps personnel, dont j'adorais abuser. Ils étaient tout de même mes amis et j'appréciais passer du temps avec eux, nous partagions la même vision du monde, on ressemblait à un groupe hippies au collège. Mon premier joint, mes premières soirées arrosées, c'était avec eux. Des souvenirs j'en ai plein la tête, si bien qu'il est difficile de faire une sélection parmi les différents choix.

Ma vie continue, les soirées étudiantes, les petites bêtises, la fumette, l'alcool, finalement rien de bien méchant, juste une vie mouvementé et pleine de folie. Je commence à travailler en parallèle à mes études, voulant concrétiser un projet qui me tient particulièrement à cœur. Essayant de réunir un maximum d'argent pour m'offrir un long voyage. J'en discute longuement avec mon père, qui n'est pas enclin à me voir quitter le nid ainsi, mais qui comprend ce besoin soudain. J'ai économisé le moindre centimes de mes payes pendants trois ans, trois longues années d'économie, mon père en avait fait autant de son côté pour que j'ai un bon capital. Il me fallait désormais annoncer mon départ et mes projets à mon père et mon ami. Je les ais donc réunis tous les deux pour que nous puissions en parler.

« -Bon dis-nous tout... »

Mon père savait exactement de quoi nous allions parler, Sam en revanche n'en savait strictement rien.

« -Je pars photographier le monde dans une semaine. »

Je regarde Sam, il semble incroyablement surpris.

« -Tu n'as pas peur de te perdre toute seule ? »
« -Non Sam... Je peux avoir tes encouragements maintenant ? »
« -Non ! Tu abandonnes tes études pour partir à la découverte du monde sur un coup de tête ? D'ailleurs tu pars avec qui ? »
« -Je pars seule Sam. Je ne comprends pas c'est quoi le problème ? »
« -Faut dire que tu réfléchis tellement souvent... »
« -Je peux savoir c'est quoi ton problème au juste ? Le fait que je puisse m'en sortir sans toi ? Ou le fait que je te laisse derrière moi sans regret ?»
« -Tu fais ce que tu veux, mais ne compte pas sur moi pour venir te dire au revoir à l'aéroport. Et toi, comment tu peux la laisser faire ça ? »
« -Tu sais Samaël, elle me fait penser en tout point à sa mère et si je ne lui donne pas mon consentement, elle partira contre mon avis. Il est hors de question que je perde ma fille. »
« -En faite tu manipules tout ton petit monde comme tu veux. Je n'ai pas mon mot à dire. »
« -Sam on n'est pas un couple, je ne te dois rien. Je veux faire ce voyage autour du monde, je le ferais avec ou sans ton accord. »
« -Ta fille est trop rêveuse, tu ne peux pas la laisser partir ainsi, le monde est dangereux, qui va veiller sur elle ? »
« -Et toi tu es trop terre à terre Sam. Je fais ce que je veux, je voulais juste fêter la nouvelle avec toi. »

Il ne comprenait pas et d'une certaine façon, il n'avait pas confiance en moi, c'est sans doute pour cette raison que j'ai été vexé de sa réaction. Il avait toujours été présent pour moi, toujours prêt à intervenir pour m'éviter de faire des conneries, d'être blessée, de faire les mauvais choix et aujourd'hui je prenais mon envole, sans doute avait-il peur ? Dans le fond, je n'en avais pas la moindre idée et pour être honnête, j'avais tellement préparé ce départ, qu'il n'aurait rien pu changer à cela. J'avais ce projet dans la tête et rien ne pouvait me faire changer d'avis.

Finalement le lendemain de cette soirée chaotique, les esprits plus détendu, nous avons pu parler plus posément. J'étais passée le voir chez lui, dans un premier temps pour m'excuser de mon comportement de la vieille, puis dans un second temps, pour ne pas partir en étant en froid avec mon meilleur ami. Nous avions l'habitude de nous chamailler, c'était ainsi et ce depuis le début. Soit on se faisaient des farces, soit on se prenaient la tête parce que nous n'étions pas d'accord sur un sujet. Une amitié conflictuelle qui m'apportait énormément et dont je ne pourrais jamais me passer.

« -Sam, je suis vraiment désolée pour hier. Je ne pars pas sur un coup de tête, ça fait trois ans que je prépare ce projet, mon père m'a aidé à mettre de l'argent de côté. J'ai un bon capital pour partir, mon passeport est près, je connais déjà ma première destination et j'ai réussi à avoir des contactes sur place pour dormir chez l'habitant. Tout va bien se passer. »
« -Tu feras attention à toi et je veux avoir des nouvelles régulièrement. »

Je me mis à rire de bon cœur.

« -On croirait entendre mon père, ça devient grave tu sais... »
« -Et tu te moque de moi ! Vois le côté positif de la chose, on veut tous les deux prendre soin de toi. »
« -Ok pour une fois je me résigne, tu as gagné. Je t'envoie régulièrement des nouvelles et je fais attention. »
« -Et maintenant grâce à toi, j'ai l'impression d'être un vieux con ! »

Finalement il se résignait à me faire confiance et à me laisser partir sans trop m'en vouloir.

Après cela, mon départ approcha à grand pas, j'étais pressée et paniquée à l'idée de quitter le nid, mais tellement contente que cela arrive enfin, que tout me passait au dessus de la tête, il ne restait que le stresse. Le stresse d'oublier quelque chose en partant.

Finalement le jour de mon départ arriva, je ne savais pas pour combien de temps je partais. Un an ? Deux ans ? Sans doute plus ou moins.  


Divers pays, diverses cultures, se fut l'expérience la plus enrichissante de ma vie. Les multitudes de rencontres que j'avais pu faire. Tant de choses qui m'en apprenaient tous les jours davantages. Dans un premier temps, le continent Asiatique, une culture riche, des paysages à couper le souffle. J'avais embarqué assez de pellicule pour les six premiers mois. Je tenais ma promesse faite à Sam et mon père, un mail par semaine et par moment même, des lettres, la nostalgie du courrier manuscrit qu'on emmène partout. La plupart du temps, je joignais à la lettre une photo d'un décor magnifique, paradisiaque, la nature, les montagnes. Je profitais de mes voyages comme un grand reporter, je posais des questions pour en apprendre plus, je prenais bon nombre de photo, j'adorais ce que je vivais et mise à part le manque de mes proches, rien ne m'incitais à rentrer tout de suite. Il me restait tant de chose à voir et tant de chose à faire, j'avais même peur de manquer de temps. Les voyages furent nombreux, je ne restais jamais longtemps au même endroit, le plus souvent en mouvement, je voulais en voir le plus possible, c'est sans doute la vivacité de la jeunesse, j'ai certainement loupé beaucoup de chose, mais je me disais que je pouvais revenir à un moment quelconque de ma vie, pour passer le temps des vacances, me replonger dans d'agréables souvenirs lointains.

La dernière lettre que j'envoyais à Sam.



Je décollais d'Irlande, direction USA pour la ville de New-York. Le vole se passait bien. Je suis rentrais avec des souvenirs mémorables, des souvenirs tristes, mais tous les souvenirs que je rapportais avec moi, m'avaient construit et avaient forgé mon caractère, ma personnalité. J'étais revenue sans doute changé...

En rentrant, je fus accueillie par ma famille et quelques amis, dont Sam. Les choses avaient changé. Mon père était désormais en couple et sur le point de se remarier, j'étais au courant, mais je n'avais pas encore eu l'honneur de croiser sa future femme. Que j'allais vite apprendre à détester... Non pas qu'elle allait le rendre malheureux, je pensais qu'ils seraient heureux tous les deux, mais pour que ce soit parfait, je ne devais plus faire partie du paysage, car toutes les deux, on ne s'entendaient vraiment pas. Elle ne comprenait pas que je passe autant de temps à faire de la photographie. Je suis rentrée depuis trois mois et je ne fais rien d'autre que ça. Je erre dans les rues de New-York et je photographie tout ce qui m'inspire. Nous pourrions nous entendre, si on ne se voyait pas tous les jours et je compris cela bien vite.

Je cherchais donc une solution, je devais prendre un appartement, il me restait quelques économies, non négligeable néanmoins, elle m'assurait un mois de loyer et de facture en tout genre. Il me fallait surtout trouver un job. Quand Sam s'est vu trouvé un job, je trouvais en cette nouvelle une opportunité. Nous pourrions prendre un appartement ensemble, si on gérait bien à deux on pouvait se permettre de choisir une petite maison qui possédait un sous-sol, c'était ma seule exigence, un sous-sol ou je pourrais développer mes photos.

« -Dis-moi ça te dirait qu'on prenne un appartement ensemble ? »
« -Pardon ?! »
« -Quoi ? Fait pas cette tête, ce n'est pas si bête après tout. On partage tous les frais en deux, tu feras une bonne économie et on pourra se permettre de prendre un appartement un peu plus grand, genre une petite maison avec un sous sol pour une chambre noire. »
« -Ouai, toi tant que tu peux faire des photos tout te va ? »
« -Oui c'est l'idée. »
« -Comment on partage les frais, s'il n'y a que moi qui bosse. »
« -Il me reste un bon capital, ça me permettra de payer les deux premiers mois, ça me laissera donc deux mois pour trouver un job. C'est gérable. »
« -Je marche. Donc tu cherches une petite maison avec sous sol à Woodsboro. On vise combien pour le loyer ? »

C'est comme ça que j'ai suivi mon meilleur ami à Woodsboro. Besoin de me sentir libre et de libérer mon père de son rôle de père. Il avait tout fait pour moi, il ne pouvait pas faire plus. Je savais que je pouvais compter sur lui en toute occasion et cela me suffisait amplement. Une sorte de remerciement. Qu'il puisse enfin vivre sa vie.  

Voilà maintenant 1 an que nous sommes ici et les choses se passent bien, enfin je dirais au poil. Je bosse pour une photographe qui gère surtout des événements, mariage, baptême, ce genre de chose. Ce n'est pas vraiment ce que je m'imaginais mais, c'est toujours mieux que rien. La colocation avec Sam, bah... c'est marrant, on s'engueule, on se réconcilie, on fait les cons et on trouve un autre sujet de discordes. On le vit plutôt bien, en faite je dirais même qu'on fait pas meilleur coloc...